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Tachycardies à complexes larges


Spécialité : cardiologie /

Points importants

  • Toute tachycardie régulière à complexes QRS larges doit être considérée comme une TV jusqu'à preuve du contraire
  • La TV peut évoluer à tout moment vers une FV
  • L'évaluation de la tolérance doit être immédiate et amène à la décision de cardioversion électrique en urgence (parfois extrême urgence) en cas d'inconscience ou d'état de choc avancé
  • Dans les cas de bonne tolérance, le diagnostic du type de trouble du rythme (TV ou autre) doit être précisé pour aider la prise en charge ultérieure
  • La dissociation auriculo-ventriculaire avec QRS plus nombreux que les oreillettes signe le diagnostic de TV
  • Les autres diagnostics possibles de tachycardie régulière à complexes QRS larges sont, par ordre de fréquence :
    • les tachycardies auriculaires (ACFA, flutter, tachycardie atriale) avec bloc de branche préalable ou fréquence dépendant
    • les flutters auriculaires à conduction 1/1 sous anti-arythmiques en général de classe I
    • et très rarement les rythmes réciproques antidromiques sur voie accessoire
  • Il faut connaître 2 aspects particuliers de tachycardie à complexes larges :
    • celle "accordéon" irrégulière et rapide des ACFA sur faisceau de Kent
    • celle polymorphe irrégulière en salve ou dégénérant en FV des torsades de pointe
  • Enfin, en cas d'incertitude diagnostique, il est préférable de ne pas accumuler les anti-arythmiques (effets secondaires) et d'avoir un recours rapide à la cardioversion

Présentation clinique / CIMU

SIGNES FONCTIONNELS

Généraux

  • Palpitations (pas systématiques)
  • Asthénie, sueurs
  • Dyspnée de repos
  • Gêne thoracique ou angor fonctionnel assez fréquent
  • Lipothymie ou syncope initiale, état d'inconscience

Spécifiques

  • Liés au retentissement hémodynamique : HoTA, marbrures, crépitants d'insuffisance cardiaque gauche
  • La tachycardie peut être bien tolérée (début) en particulier sur coeur sain, a fortiori si ce n'est pas une TV

CONTEXTE

Antécédents

  • Cardiopathies gauches en particulier ischémiques avec cicatrice d'infarctus : évocateur de TV
  • Cardiomyopathies dilatées idiopathiques avec FEVG altérées évocateur de TV
  • Dysplasie du ventricule droit arythmogène : TV

Facteurs favorisants aussi bien les TV que TSV

  • Alcool
  • Dyskaliémie
  • Anti-arythmiques de classe I
  • Hyperthyroïdie (ou hypothyroïdie trop substituée)
  • Excès de bêta 2 mimétiques

EXAMEN CLINIQUE

Doit apprécier le retentissement de la tachycardie

  • Bien tolérée si seulement :
    • asthénie, palpitations, gêne thoracique, dyspnée d'effort - étape diagnostique possible
  • Mal tolérée si :
    • insuffisance cardiaque gauche et/ou orthopnée, crépitants bilatéraux auscultatoire à hémodynamique conservée - à réduire rapidement
  • Très mal tolérée - à réduire en urgence :
    • agitation, obnubilation, sueurs, qui vont souvent précéder la perte de connaissance
    • collapsus cardiovasculaire
    • inconscience

Doit rechercher des arguments étiologiques à l'interrogatoire (sans retarder la prise en charge)

  • Orientant vers une tachycardie ventriculaire :
    • CMD à FEVG altérée connue
    • ATCD d'IDM, d'OAP
    • tolérance se détériorant rapidement
  • Orientant vers un diagnostic différentiel (TSV avec aberration, ACFA sur faisceau de Kent, flutter 1/1, drogué aux anti-arythmiques de classe I) :
    • ATCD d'ACFA, flutter, tachycardie atriale
    • bloc de branche connu (seulement si d'aspect identique à celui de la tachycardie++)
    • absence de toute cardiopathie
    • prise d'anti-arythmiques de classe I
    • WPW connu

EXAMENS PARACLINIQUES SIMPLES

SpO2

  • Désaturation pouvant indiquer un subOAP débutant

ECG 12 dérivations (pas seulement une bande de scope)

  • Tachycardie régulière à QRS larges (> 120 ms)
  • Recherche des éléments pour le diagnostic de TV : la dissociation auriculo-ventriculaire (DAV) parfois d'emblée visible sous forme de :
    • ondes P régulières plus lentes que les ventricules
      • _389 ECG : dissociation auriculoventriculaire
    • captures ou fusions : QRS plus fins soit d'allure normale et précédés d'une onde P sinusale (capture) soit seulement plus fine (fusion)
    • la DAV signe le diagnostic de TV

ECG long +++ avec manoeuvres vagales, en l'absence de diagnostic évident du trouble du rythme

  • Compression sino-carotidienne en l'absence de souffle auscultatoire, manoeuvre de Valsalva, provocation d'un réflexe nauséeux
  • On ne pratique plus la compression des globes oculaires (décollement de rétine)
  • Effet de ralentissement ou blocage de la conduction dans le NAV, permettant de ralentir les ventricules si tachycardie non ventriculaire
  • Peuvent être sans effet quel que soit le diagnostic, mais absence de ralentissement des QRS en faveur d'une TV

ECG avec médicaments bloqueurs du NAV : ATP

  • ATP bloqueur très transitoire du NAV, ralentit les QRS en cas de tachycardie des oreillettes
  • Bloqueurs plus prolongés : (esmolol, vérapamil, diltiazem)

Au maximum, enregistrement du rythme auriculaire grâce à une électrode endo-oesophagienne ou endocavitaire par le cardiologue de garde

Cas particulier des TV bénignes idiopathiques : sensibilité particulière à certains médicaments. Y penser si :

  • Sujet jeune, coeur sain, bonne tolérance
  • Aspect de tachycardie à QRS peu élargis retard droit, axe gauche : TV fasciculaires sensibles au vérapamil
  • Aspect de tachycardie retard gauche axe vertical : TV infundibulaires sensibles à l'ATP

Signes paracliniques

BIOLOGIQUES

Retentissement de la tachycardie

  • Fonction rénale + bilan hépatique : insuffisance rénale et cytolyse sont en faveur d'un bas débit cardiaque a minima

Facteurs favorisants/aggravants

  • Kaliémie (rapide sur gaz du sang)
  • Troponine en cas de suspicion de SCA clinique et marqueur non officiel de retentissement

IMAGERIE

  • Aucun examen d'imagerie ne doit retarder la prise en charge thérapeutique +++

Radiographie thoracique

  • Cardiomégalie et surtout surcharge vasculaire en faveur d'un oedème pulmonaire

Echographie transthoracique fera partie du bilan étiologique mais n'a pas d'indication urgente

Coronarographie dans le cas rare des TV polymorphes de la phase aigue d'IDM (ECG inter tachycardie précise le diagnostic d'IDM)

Diagnostic étiologique

A peu d'importance sur la prise en charge aiguë, par rapport à l'affirmation du diagnostic et à la prise en charge thérapeutique

  • Cardiopathies ischémiques avec séquelle d'infarctus
  • IDM en voie de constitution; TV polymorphes non soutenues, dégénérant rapidement en FV
  • Cardiomyopathies dilatées hypokinétiques idiopathiques
  • Dysplasie du ventricule droit arythmogène
  • TV bénignes idiopathiques : TV fasciculaires, TV infundibulaires
  • TV contextuelles : hypokaliémie, hyperthyroïdie, intoxication digitalique, bêta-2-mimétiques

Diagnostic différentiel

Flutter ou Tachycardie atriale avec "aberration de conduction"

  • Diagnostic facile si bloc de branche connu préalable, et dans ce cas identique à l'aspect de la tachycardie
  • Plus difficile en cas de bloc fonctionnel (n'apparaît qu'avec la TSV)
  • Importance des manoeuvres vagales : ralentissement de la conduction AV et donc des ventricules si le TDR naît dans les oreillettes. Les oreillettes deviennent visibles, reconnaissables et plus rapides que les ventricules +++
  • Si échec des manoeuvres vagales : bloqueurs du NAV de courte durée d'action (ATP, esmolol, vérapamil, tildiem) auront le même effet

Flutter auriculaire à conduction 1/1 aux ventricules sous l'effet d'un AAR de classe I

_390 ECG : flutter auriculaire mis en évidence sous l'effet des AAR

  • Même efficacité des manoeuvres vagales/ATP pour démasquer le flutter auriculaire en ralentissant les ventricules gênant le diagnostic car trop rapide
  • Elargissement du QRS est lié à l'effet propre des AAR de classe I
  • Conduction 1/1 rendue possible par le ralentissement de la fréquence des oreillettes (ex: 300 => 230 bpm) lié à l'AAR

Tachycardie auriculaire (ACFA le plus souvent) conduite par une voie accessoire : "superwolff ou ACFA préexcitée"

_391 Photo ECG : tachycardie auriculaire

  • Tachycardie irrégulière +++
  • QRS larges mais aspect accordéon (tantôt larges tantôt moins larges)
  • Avec fréquences très rapides, parfois au delà de 300 bpm sur certains cycles
  • Eviter bloqueurs du NAV favorisant la conduction exclusive par le Kent : amiodarone d'emblée

Rythme réciproque (RR) antidromique sur voie accessoire
Diagnostic très rare, sujet jeune et coeur sain, souvent fait a posteriori

  • WPW connu ou non
  • Tachycardie régulière à complexes larges
  • Bien tolérée, souvent rapide (> 200 bpm)
  • Qui s'arrêtera avec les manoeuvres vagales, l'ATP, ou l'amiodarone (diagnostic a posteriori sur l'ECG sinusal, présence d'une préexcitation ventriculaire)

Torsades de pointe

Traitement

TRAITEMENT PREHOSPITALIER / INTRAHOSPITALIER

Stabilisation initiale

  • Scope
  • Perfusion par large voie avec soluté G5% (éviter le NaCl 0,9%, risque d'aggravation ou d'apparition de subOAP)
  • Défibrillateur relié aux patchs transcutanés allumé et prêt à servir
  • Anesthésiste de garde prévenu qu'il peut avoir à intervenir rapidement pour AG
  • Selon la tolérance :
    • si patient inconscient : cardioversion immédiate par CEE à énergie maximale
    • si mauvaise tolérance (collapsus, agitation présyncopale) : cardioversion sous AG courte
    • dans les autres cas : insuffisance cardiaque à hémodynamique conservée, ou gêne fonctionnelle pure : diagnostic positif du TDR (ventriculaire ou non) et prise en charge médicamenteuse selon les données du contexte
  • Selon le trouble du rythme :
    • tachycardies ventriculaires :
      • TV sur cardiopathie ischémique : amiodarone IVSE suivie d'une cardioversion électrique si échec à 30 min
      • TV sur CMD : idem
      • TV en phase aiguë d'IDM : indication élective de la xylocaïne, qui doit être associée à la revascularisation
      • TV infundibulaire : peut être sensible à l'ATP, aux bêtabloquants sinon amiodarone IVSE
      • TV fasciculaire : sensible habituellement au vérapamil
      • La cardioversion est préférable même en cas de bonne tolérance du TDR, en cas d'impossibilité diagnostique ou d'échec des anti-arythmiques ; il ne faut pas accumuler les anti-arythmiques avant d'y arriver sous peine de cumuler les effets secondaires ++ :
    • tachycardie supraventriculaire et aberration de conduction :
      • une fois le diagnostic établi (manoeuvres vagales, ATP, bloqueurs NAV), le traitement est celui d'une TSV
    • flutter auriculaire à conduction 1/1 aux ventricules :
      • diagnostic aidé par manoeuvres vagales, ATP, bloqueurs du NAV
      • lactates molaires ou Bicarbonates molaires pour antagoniser l'effet des AAR (réaccélération des auriculogrammes de flutter qui ne pourront plus passer en 1/1)
      • envisager un bloqueur du NAV per os (bêtabloquant sinon inhibiteur calcique) après correction d'une insuffisance cardiaque gauche aiguë
    • FA sur faisceau de Kent :
      • amiodarone 2 amp IVSE sur 20-30 min, sous surveillance scopique et sans quitter le patient
      • cardioversion sous AG à la fin de la seringue ou à tout moment en cas de perte de connaissance ou FV
    • rythme réciproque antidromique sur faisceau de Kent (rare++) :
      • peut être réduit par striadyne mais pas toujours
      • sinon amiodarone IVSE voire cardioversion si échec de l'amiodarone

Suivi du traitement

  • Prévention de la récidive de TV (à discuter avec le cardiologue) :
    • entretien soit par amiodarone IVSE soit par amiodarone en dose de charge per os
    • introduction courante d'un bêtabloquant
    • overdrive par sonde d'entraînement endocavitaire en cas de TV subintrante
  • Ne pas oublier la correction du facteur déclenchant : recharge potassique, ischémie coronaire
  • Traitement du retentissement en particulier de l'OAP
  • En l'absence de diagnostic :
    • si bonne tolérance, confier le patient au cardiologue
    • si mauvaise tolérance, considérer que c'est une probable TV à réduire rapidement sans accumuler les anti-arythmiques

MEDICAMENTS

ATP (adénosine triphosphate)

  • 10 à 20 mg en IVD « flash »
  • Demi-vie < 10 secondes
  • Contre-indications : asthme, BPCO sévère, allergie
  • Non contre-indiqué pendant la grossesse

Esmolol

  • 500 µg/kg/min en 1 min, suivi d'une perfusion de 50µg/kg/min d'entretien sur 4 min
  • Séquence à renouveler éventuellement au bout de 5 min avec une dose d'entretien plus importante (augmentée par paliers de 50 µg/kg/min sans dépasser 200 µg/kg/min)
  • Disparition des effets secondaires en 30 min
  • Contre-indications : asthme, BPCO, insuffisance cardiaque décompensée, troubles de conductions de haut degré
  • Ne pas faire passer avec HCO3Na, à diluer tel que concentration de 10 mg/mL à respecter

Vérapamil

  • Inhibiteur calcique, AAR classe IV
  • 1 amp de 2 mL soit 5 mg sur 3 min en IV, éventuellement à renouveler une fois au bout de 10 min
  • Contre-indications : insuffisance cardiaque systolique, troubles de conduction de haut degré
  • ½ vie 25 min et 5 heures

Tildiem injectable

  • Flacons à 100mg poudre pour solution injectable IV : 0,25 à 0,3 mg/kg en IVD sur 2 min, éventuellement à renouveler
  • Contre-indications : insuffisance cardiaque systolique, troubles de conduction de haut degré
  • ½ vie de distribution 25 min, d'élimination 3 heures

Lidocaïne (chlorhydrate de lidocaïne intraveineux 2%)

  • Action immédiate et durant 20 à 30 min
  • Bolus de 1 à 2 mg/kg en 2 min éventuellement renouvelable puis chlorhydrate de lidocaïne (Xylocard®) perfusion 5% 1mg/kg/h en IVSE

Amiodarone

  • Bolus de 1 à 2 amp de 150 mg diluée dans du sérum glucosé isotonique sur 20 à 30 min puis, si dose d'entretien, 4 à 6 ampoules IVSE (600 à 800 mg/24h jusqu' à 1,2 g/24h) dans 250 mL de sérum glucosé
  • Délai d'action 20 à 30 min
  • Durée d'action 1 à 4 heures

Surveillance

CLINIQUE

  • Scope +++
  • Rester à proximité du patient
  • Constantes (PA, SpO2, FC)
  • Etat de conscience
  • Réévaluer signes d'insuffisance cardiaque (OAP) et de collapsus

PARACLINIQUE

  • Kaliémie
  • Ionogramme sanguin, bilan hépatique pour des tachycardies récidivantes réfractaires
  • ECG post réduction

Devenir / orientation

  • Admission systématique en unité de soins intensifs, si possible cardiologique disposant d'un système de monitorage du rythme cardiaque

Bibliographie

  • Aide mémoire de rythmologie. R Slama, G Motté, A Lennhardt, C Sebag. Editions Médecine Sciences - Flammarion
  • L' Electrocardiogramme. J gay, M Desnos, P Benoit; Editions Frison-Roche
  • Zipes P et al. ACC/AHA/ESC Guidelines 2006 for management of patients wth ventricular arrhythmias and the prevention of cardiac sudden death. Europace 2006; 8: 746-837
  • Blomström-Lundqvist C et al. ACC/AHA/ESC guidelines for the management of patients with supraventricular arrhythmias. Executive surmmary. European Heart Journal 2003; 24: 1857-1897
  • Précis de rythmologie de la Société Française de Cardiologie. N. Saoudi, JC Deharo; Editions Sauramps medical

Auteur(s) : Anne MESSALI