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Intoxication : colchicine


Spécialité : pediatrie / toxicologie /

Points importants

  • Intoxication rare et grave
  • Tout patient intoxiqué à la colchicine doit être adressé à l'hôpital pour bilan et surveillance
  • Intoxication responsable d'une atteinte multiviscérale, avec défaillances cardiaque, respiratoire, hépatique, neurologique et hématologique
  • Les facteurs pronostiques usuels sont :
    • la dose supposée ingérée
    • l'élévation des leucocytes
    • la baisse du taux de prothrombine à la 48e heure
    • l'apparition d'un choc cardiogénique ou d'un syndrome de défaillance respiratoire aiguë
  • Traitement symptomatique

Présentation clinique / CIMU

SIGNES FONCTIONNELS

Troubles digestifs +++

  • Constants et au premier plan
  • Vomissements, diarrhée, douleurs abdominales
  • Plus rarement : hémorragie digestive

Troubles respiratoires

  • Polypnée, dyspnée, détresse respiratoire

Troubles rénaux

  • Oligurie, anurie

Troubles cardio-circulatoires

  • Lipothymie
  • Palpitations
  • Douleur thoracique

Troubles généraux

  • Anxiété
  • Fatigue générale, anorexie, déshydratation
  • Hyperthermie
  • Foyer infectieux ou saignement
  • Coma, convulsions (rares)

CONTEXTE

Terrain

  • Intoxication volontaire : patient dépressif
  • Surdosage : traitement au long cours par colchicine
  • Intoxication par les plantes médicinales (colchique)

Traitement usuel

  • Colchicine (Colchicine Houdé® et le Colchimax®)
  • Le Colchimax® renferme également du tiémonium (50 mg par cp), du phénobarbital (15 mg par cp) et de l'opium (12,5 mg par cp)
  • La posologie quotidienne préconisée est de l'ordre de 1 mg/j

Antécédents

  • Crise de goutte traitée par colchicine
  • Fièvre périodique traitée par colchicine
  • Pathologie rhumatismale ou dermatologique chronique (sclérodermie, maladie de Behcet, certains psoriasis) traitée par colchicine
  • Dépression

Facteurs de risque

  • Insuffisance rénale (surdosage)

Circonstances de survenue

  • Tentative de suicide par ingestion le plus souvent
  • Accident lors d'erreur de prescription ou d'administration
  • Effet secondaire indésirable ou surdosage (sujet âgé, insuffisance rénale)
  • Consommation de plantes médicinales (colchique)

EXAMEN CLINIQUE

Phase initiale (J0-J1)

  • Signes digestifs constants :
    • abdomen sensible, météorisme
    • diarrhées, vomissements
  • Déshydratation, hypovolémie (dues à l'importance des pertes liquidiennes)
  • Tachycardie, HoTA
  • Fièvre ou hypothermie

Deuxième phase (J2-J7)

  • Tachycardie, HoTA, collapsus, choc, douleur thoracique 
  • Insuffisance respiratoire :
    • dyspnée
    • sous-crépitants à l'auscultation
    • évolution vers un SDRA
  • Signes digestifs :
    • abdomen sensible
    • météorisme
    • diarrhées, vomissements
  • Atteinte neurologique :
    • polynévrite
    • confusion
    • convulsions
    • coma (rare)
  • Fièvre ou hypothermie
  • Douleurs diffuses musculaires
  • Défaillance multiviscérale

Troisième phase (> J7)

  • Fièvre ou hypothermie
  • Hémorragie et foyer infectieux dû à l'aplasie médullaire transitoire
  • Alopécie transitoire au décours de l'aplasie
  • Amaigrissement

EXAMENS PARACLINIQUES SIMPLES

ECG

  • Possibilité d'ischémie myocardique diffuse

CIMU

  • Tri 1 à 3 en fonction de l'atteinte des fonctions vitales

Signes paracliniques

BIOLOGIQUE

NFS

  • Hyperleucocytose (paradoxale non fonctionnelle) en phase initiale
  • Thrombopénie, leucopénie en phase secondaire

Ionogramme sanguin et créatininémie

  • Déshydratation extracellulaire ou globale
  • Insuffisance rénale aiguë
  • Hypo- ou hyperkaliémie
  • Bicarbonates abaissés
  • Hyponatrémie par SIADH
  • Hypocalcémie
  • Hypophosphorémie

Ionogramme urinaire

  • Mécanisme de l'insuffisance rénale aiguë (par déshydratation ou nécrose tubulaire aiguë)

Gazométrie

  • Acidose métabolique
  • Hypoxémie

Bilan d'hémostase

  • Baisse du taux de prothrombine
  • Baisse des facteurs de l'hémostase
  • CIVD

Hyperlactatémie (si choc ou sepsis)

Bilan hépatique

  • Elévation des transaminases
  • Stigmates d'insuffisance hépatique

Lipasémie

  • Pancréatite

CPK

  • Rhabdomyolyse

TOXICOLOGIQUE

  • Dosage sanguin et urinaire de la colchicine (laboratoire spécialisé) : plusieurs techniques analytiques possibles ; nécessité de garder les prélèvements à l'abri de la lumière pour certaines d'entre elles

FACTEURS PRONOSTIQUES

En fonction de la dose ingérée

  • < 0,5 mg/kg :
    • troubles digestifs
    • probabilité de décès < 5%
  • 0,5 - 0,8 mg/kg :
    • aplasie médullaire
    • probabilité de décès 10%
  • = 0,8 mg/kg :
    • insuffisance circulatoire
    • probabilité de décès 100% en 72h
  • Taux de prothrombine < 20% avec facteur V < 20% dans les 48 premières heures
  • Acidose métabolique
  • Leucocytose > 18 G/L dans les 48 premières heures
  • Choc cardiogénique persistant malgré remplissage et drogues vasoactives
  • SDRA

IMAGERIE

Radiographie pulmonaire

  • Pneumonie infectieuse (leuconeutropénie)
  • SDRA (atteinte toxique)

Monitorage de l'état hémodynamique

  • En cas d'état de choc
  • Recours aux techniques habituelles de réanimation (échographie cardiaque, cathétérisme cardiaque droit, PICCO, vigiléo...)
  • Choc hypovolémique dû aux vomissements et à la diarrhée, voire à l'hémorragie digestive
  • Choc vasoplégique, probablement septique en raison de l'insuffisance médullaire
  • Choc cardiogénique de règle réfractaire aux catécholamines et entraînant le décès dans 100% des cas

Diagnostic différentiel

  • Autres causes infectieuses ou non de diarrhées aiguës sévères
  • Autres causes toxiques ou non d'aplasie médullaire
  • Autres causes ou non d'intoxication avec défaillance multiviscérale (thallium, métaux lourds, radiations ionisantes, champignons)
  • Choc septique

Traitement

TRAITEMENT PREHOSPITALIER / INTRAHOSPITALIER

Stabilisation initiale

  • Voie veineuse de bon calibre
  • Décontamination digestive (même retardée) par charbon activé ; respecter la diarrhée
  • Remplissage vasculaire (massif)
  • Compensation des pertes hydro-électrolytiques

Suivi du traitement

  • Poursuite du remplissage massif adapté au profil hémodynamique
  • Traitement du choc (catécholamines adaptés au profil hémodynamique)
  • Antibiothérapie à large spectre si fièvre (car leuconeutropénie ou leucocytes non fonctionnels) : bêtalactamine à large spectre (type ticarcilline ou pipéracilline +/- tazobactam) + aminoside
  • L'antibiothérapie probabiliste en cas de fièvre doit être active sur les germes de l'oropharynx (streptocoques) et tube digestif (bacille à gram négatif), en raison du risque de survenue de translocation bactérienne lors des phases d'instabilité hémodynamique. Elle doit tenir compte d'une éventuelle colonisation par des germes nosocomiaux
  • GCS-F ou Granulocyte Colony Stimulating Factor (filgrastim) : pourrait posséder un intérêt pour réduire la durée et l'importance de la pancytopénie, mais celle-ci est habituellement = 3 jours
  • Ventilation mécanique si insuffisance respiratoire aiguë
  • Epuration extrarénale si insuffisance rénale aiguë organique, mais pas d'intérêt pour l'épuration du toxique (colchicine non dialysable)
  • L'intérêt de l'assistance circulatoire en cas de choc cardiogénique réfractaire n'est pas établi dans cette indication

Surveillance

CLINIQUE

  • PA, FC, FR, diurèse/h
  • Température/4h
  • Scope si troubles digestifs initiaux importants ou anomalies hydro-électrolytiques

PARACLINIQUE

  • Ionogramme sanguin, créatininémie, urée sanguine, gazométrie, lactatémie
  • NFS, bilan d'hémostase (TP et facteur V), transaminases
  • Troponine, CPK
  • ECG
  • Radiographie de thorax
  • Dosage sanguin de la colchicine (laboratoire spécialisé)

Devenir / orientation

  • Le patient est généralement peu symptomatique dans les premières heures suivant l'ingestion. Ceci ne présage pas du pronostic final

CRITERES D'ADMISSION

  • Admission systématique à l'hôpital pour toute intoxication volontaire et pour toute intoxication ou surdosage avec anomalies hydro-électrolytiques
  • En réanimation :
    • si atteinte des fonctions vitales : état de choc, insuffisance rénale aiguë, insuffisance respiratoire aiguë, anomalies ECG
    • si déshydratation significative, anomalies hydro-électrolytiques, troubles digestifs importants, anomalies à la NFS
    • si dose supposée ingérée élevée > 0,2 mg/kg

CRITERES DE SORTIE DU SAU

  • Patient resté asymptomatique pendant > 48h
  • Régression des troubles digestifs (diarrhée et vomissements) et correction des anomalies hydro-électrolytiques
  • Après avis psychiatrique en cas d'intoxication volontaire

Mécanisme / description

GENERALITES

  • La colchicine est un alcaloïde, extrait de la colchique et appartient à la famille des poisons du fuseau
  • Son effet antimitotique est en rapport avec sa liaison à la tubuline, formée d'un hétérodimère alpha et bêta et qui constitue la sous-unité élémentaire des microtubules. Cette liaison empêche la polymérisation des microtubules et bloque les cellules en métaphase
  • 2 formes d'intoxication par la colchicine : le surdosage qui résulte de la prescription d'une trop forte dose chez un patient insuffisant rénal et l'intoxication aiguë par la prise massive d'une dose unique de colchicine
  • Des cas d'intoxications par le végétal produisant la colchicine ont été décrits. La colchique, ou safran des prés contient du colchicoside, de l'alpha-déméthyl-3-colchicine et surtout de la colchicine. On retrouve ces composés dans toute la plante mais surtout dans les graines et le bulbe. L'ingestion ou la succion d'une plante n'engendre pas de signes cliniques graves. Par contre, l'ingestion de 1 à 2 grammes de graines peut être mortelle. Le tableau clinique s'apparente à celui de l'intoxication médicamenteuse aiguë par la colchicine

TOXICOCINETIQUE

  • Peu de données existent sur le comportement cinétique de la colchicine en situation toxique et beaucoup de considérations se déduisent des études pharmacologiques
  • Le volume de distribution de la colchicine est important
  • Il n'existe pas de corrélation entre la concentration plasmatique de la colchicine à l'admission et le pronostic final
  • Le profil de la cinétique d'élimination de la colchicine du plasma considéré à partir de la date d'ingestion est par contre lié à l'évolution clinique
  • Une quantité importante s'élimine par les urines, surtout pendant les premiers jours. Les selles diarrhéiques contiennent des quantités non négligeables de toxiques. Il est donc important de maintenir une bonne diurèse et de respecter le transit
  • L'hémodialyse a peu d'intérêt, en raison des faibles quantités de colchicine circulantes et d'une clairance rénale en général conservée
  • L'ingestion simultanée d'autres médicaments pourrait modifier les paramètres cinétiques de la colchicine et expliquer la majoration ou la prolongation de ses effets toxiques

SIGNES HEMODYNAMIQUES

  • Le collapsus hémodynamique survenant précocement ne relève pas d'un mécanisme univoque
  • Le choc peut être :
    • hypovolémique, à la suite d'une hémorragie ou de pertes liquidiennes digestives abondantes
    • vasoplégique d'origine septique
    • ou le plus souvent cardiogénique par réduction de la contractilité des cellules myocardiques
  • L'exploration hémodynamique par cathétérisme droit est utile pour guider la thérapeutique

PRINCIPE DU TRAITEMENT PAR IMMUNOTOXICOTHERAPIE (EN COURS DE DEVELOPPEMENT)

  • Le principe de l'immunotoxicothérapie est l'extraction, la séquestration et l'élimination du toxique de ses organes cibles, par l'administration intravasculaire d'anticorps spécifiques ou de fragments Fab ou F(ab)'2
  • Des anticorps IgG spécifiques anti-colchicine ont pu être obtenus, après immunisation chez la chèvre. Le mécanisme d'extraction tissulaire repose sur le principe de la loi d'action de masse. Le succès est fondé sur la réversibilité de l'interaction toxique/récepteur, pour la colchicine et ses récepteurs intracellulaires (demi-vie d'association de 5 à 7,5 h)
  • La séquestration du toxique dépend alors de la spécificité et de l'affinité de l'anticorps. La constante d'affinité intrinsèque moyenne des anticorps obtenus (1,5 à 8 x 109 M-1) est supérieure à celle de la colchicine pour son récepteur biologique (106 à 107 M-1), soit environ 1000 fois plus. La formation de complexes immuns stables dans le sang circulant permet de masquer les sites moléculaires du toxique et d'empêcher l'interaction avec son site d'action. L'anticorps piège la colchicine présente dans le compartiment vasculaire, créant un gradient de concentration des tissus vers le sang, ce qui favorise le passage du toxique du compartiment tissulaire vers le compartiment vasculaire, site de distribution des anticorps. Les anticorps peuvent ainsi réduire la redistribution de molécules liées aux tissus et empêcher leur activité toxique
  • L'élimination du toxique dépend alors de la taille de l'anticorps, les IgG n'étant pas filtrés par le glomérule, alors que les Fab permettent une élimination plus rapide du toxique sous forme complexée par voie urinaire
  • Les IgG spécifiques anti-colchicine, obtenus chez la chèvre se sont révélés capables de restaurer l'activité in vitro de la tubuline préalablement inhibée par la colchicine. L'immunisation active de souris ou de lapins par un conjugué immunogène de colchicine est capable de protéger les animaux contre des doses létales de colchicine. Enfin le transfert passif d'anticorps spécifiques dans un modèle murin est capable de prévenir et de guérir une intoxication potentiellement létale. L'effet protecteur s'accompagne d'une séquestration de la colchicine dans le compartiment extracellulaire, avec modification de tous les paramètres toxicocinétique: augmentation de la concentration plasmatique de colchicine (facteur multiplicatif de 10 à 15 pour une dose semi-molaire injectée en 10 min), baisse du taux de colchicine libre plasmatique devenant quasi-indétectable pendant les 2 heures suivant l'injection des anticorps, réduction du volume de distribution de la colchicine et des concentrations tissulaires et augmentation des taux urinaires, témoignant d'une élimination efficace
  • Les facteurs limitant l'utilisation des anticorps en clinique sont la disponibilité des anticorps et le délai écoulé depuis l'ingestion lors de l'admission du patient à l'hôpital. Le problème de la dose de Fab à injecter par rapport à la dose ingérée n'est pas non plus tranché. Il a été démontré que des doses non stoechiométriques inframolaires de fragments Fab suffisaient pour traiter et neutraliser une intoxication expérimentale potentiellement létale

Bibliographie

  • Mégarbane B. Intoxication aiguë par la colchicine. Encyclopédie Orphanet, 2003. www.orpha.net/data/patho/FR/fr-colchicine.pdf
  • Baud FJ, Sabouraud A, Vicaut E, Taboulet P, Lang J, Bismuth C, Rouzioux JM, Schermann JM. Brief report: treatment of severe colchicine overdose with colchicine-specific Fab fragments. N Engl J Med 1995, 332: 642-5
  • Borron SW, Scherrmann JM, Baud FJ. Markedly altered colchicine kinetics in a fatal intoxication: examination of contributing factors. Hum Exp Toxicol 1996, 15: 885-90
  • Milne ST, Meek PD. Fatal colchicine overdose: report of a case and review of the literature. Am J Emerg Med 1998, 16: 603-8

Auteur(s) : Bruno MEGARBANE